Nous attrapons de justesse le bus, qui nous emmène de bon matin de Saigon à Dalat. Le lieu, découvert par Alexandre Yersin (Français, pasteurien, découvreur du vaccin contre la peste, un véritable héros au Vietnam) a d’abord été conçu comme une station climatique où les colons d’Indochine venaient pour se reposer des chaleurs étouffantes de la plaine. La ville, à l’époque, avait des airs de station thermale huppée (le Davos du sud-est asiatique, en somme) avec ses maisons coloniales, ses jardins fleuris, ses lacs artificiels…
Aujourd’hui, on a plutôt l’impression d’être à Almeria: les alentours immédiats de Dalat sont recouvert de serres bâchées de plastique bleu ou blanc. Les agriculteurs profitent du climat plus frais pour cultiver fleurs, fruits et légumes qui ne poussent pas dans les plaines surchauffées. Les collines alentours sont attaquées au Caterpillar pour créer des terrasses artificielles propices à l’installation des cultures. Sur le marché de Dalat, on trouve effectivement des denrées que nous n’avons pas vues ailleurs en Asie: entre autres, des fraises (qu’on utilise pour produire une confiture locale bien trop cuite) et des avocats. La région produit même du vin…
Le climat y est, en effet, plus sec et plus frais et il n’est pas rare de croiser des Vietnamiens emmitouflés dans des blousons, avec écharpes en laine et bonnets. Conséquence: on peut trouver au Vietnam des chandails, des pulls et des articles en laine sur les étals si si, ca vous en bouche un coin, hein ? Les gargotes propose des plats roboratifs et toute une gammes de gâteaux (brioches, beignets, gaufres…) servis chauds avec une sauce à la vanille brûlante. Bref, on se croirait presque sur un marché de Noel.
Nous profitons de cette ville presque exclusivement fréquentée par des touristes vietnamiens pour découvrir la vie des locaux, hors des sentiers battus et des destinations backpacker classiques. Pas d’extraordinaire ou d’exceptionnel à Dalat: rien que la vie normale. Après Angkor et Saigon, ça change.
Nos promenades dans la cité nous permettent de découvrir la passion des Vietnamiens pour les cerf-volants. Sur une esplanade au bord du lac, des dizaines de personnes, jeunes et moins jeunes, s’adonnent dans la joie et la bonne humeur à cette discipline. Les vendeurs font choux gras de leurs cerf-volants. On en voit flotter des dizaines dans le ciel: les uns en forme de requin, d’autres arborent des couleurs fluo à la mode, certains possèdent de très longues franges qui font de jolis mouvements dans les airs ou s’emmêlent avec les cerf-volants voisins lorsque l’engin est rendu fou par une rafale.
Nous louons une moto pour découvrir les environs. Le guide nous annonce de belles chutes d’eau et un magnifique atelier de broderie en soie dans la proche banlieue. Nous commençons par là. Dans un ensemble de bâtiments magnifiquement agencé, nous admirons le travail de brodeuses qui exécutent de véritables oeuvres d’art. Point après point, grâce à des bouts de fils de soie aux couleurs chatoyantes, les petites mains dessinent des thèmes typiques du Vietnam. Branches noueuses couvertes de délicates fleurs rouges, poissons argentés, lotus aux délicats camaïeux roses sur fond vert et blanc, scènes champêtres avec rizières, maisons sur pilotis et chapeaux coniques. Du plaisir pour les yeux. Les beaux tableaux sont chers. Mais quand on sait qu’une belle composition représente des mois de travail, on relativise…
Nous passons ensuite par la pagode de Linh Phuoc: un temple complètement fou recouvert de tessons de bouteilles et de bris de porcelaine. Ca fait un peu penser à du Gaudi mais en version asiatique. Kitsch à souhait!
Nous nous enfonçons dans la campagne pour débusquer les fameuses chutes d’eau. Celles de Pongour sont très impressionnantes. Elles s’écoulent sur plusieurs niveaux le long d’une falaise. Elle nous procurent aussi rafraichissement en cette journée extrêmement chaude.
Apres avoir pris quelques clichés, nous nous arrêtons devant une petite roulotte qui vend des sandwichs. Alors que nous terminons notre casse-croute, deux Vietnamiens s’installent à côté de nous. Ils engagent la conversation en anglais. Ils ont à peu près le même âge que nous et exercent le métier d’ingénieur civil (en gros, ils construisent des routes et des ponts). Notre conversation avec nos pendants vietnamiens durera plus de deux heures et nous apprendra à quel point la jeunesse vietnamienne rêve d’ouverture et de justice.
Ils nous racontent le gouvernement corrompu qui veut s’épargner le coût de construction des routes en pratiquant une taxation prohibitive sur l’achat des voitures pour réduire l’intensité du trafic. Ils évoquent les salaires plafonnés (ils gagnent l’équivalent de 500€ par mois alors qu’ils sont ingénieurs expérimentés). Ca fleure bon le système soviétique. Ils nous parlent surtout, à nous voyageurs étrangers, de partir travailler à l’étranger pour exercer leur métier. L’obtention de visa est difficile et surtout leur diplôme d’ingénieur ne serait pas reconnu. “Si je partais au Canada, je serais tout juste assez qualifié pour faire la plonge dans un restaurant viet…”. Ils tiennent à payer notre repas. Nous refusons. Ce serait plutôt à nous de payer leurs consommations pour cette conversation très instructive. Ils insistent, ils nous disent que c’est important pour eux que nous acceptions leur geste. Ils tiennent à ce que nous ayons une bonne image des Vietnamiens. Nous acceptons finalement et leur laissons des médicaments, de la bonne came ! (Les médocs vietnamiens ont la réputation d’être contrefaits…). D’un coup, on sent qu’ils deviennent nerveux. Ils lancent des oeillades en direction de la tenancière de la roulotte. Apparemment il est dangereux de s’exprimer avec autant de franchise auprès d’étrangers surtout sur des thèmes politiques. Nos deux amis se lèvent et nous font leur adieux. Ce fut sans doute une des conversations les plus intéressantes de tout notre séjour au Vietnam.
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