Nous aurons rarement fait passage de frontière plus calme et plus aisé. C’est en douceur, donc, que nous arrivons à Ho Chi Minh City, anciennement appelée Saigon. Autrefois capitale de l’Indochine française, puis bastion des Américains lors de la guerre du Vietnam, la ville a connu une longue période de marasme au profit d’Hanoi après l’unification des Vietnam du nord et du sud. Depuis une dizaine d’années, elle renait de ses cendres grâce aux investissements étrangers et aux immenses chantiers de réaménagement.
La ville regorge de bâtiments de l’époque coloniale : bureaux de poste eiffeliens, cathédrale néogothique, mairie style bonbonnière… Cependant, sans atteindre le niveau de Bangkok, on sent la cité tendre de toutes ses forces vers la modernité. Les gratte-ciel avec d’immenses enseignes électriques font déjà partie du paysage urbain. La construction d’une première ligne de métro est en projet.
Ce qui nous marque le plus dans l’ex-Saigon, c’est la circulation des deux-roues. Elle est démentielle: des millions de motos emportent des solos, des duos, des trios et parfois des familles entières. Sans compter les chargements plus ou moins insolites d’animaux, de matériaux de construction ou de courses diverses. Aussi, il faut acquérir très rapidement une bonne technique pour traverser les rues. Elles consiste à suivre l’exemple des locaux qui s’engagent sur la voie, peu importe l’ampleur du trafic, et qui marchent d’un pas régulier et déterminé en évitant les arrêts brusques et les changements de direction inopinés. Les motos vous contournent ainsi sans problème.
On aime aussi les affiches de propagande du parti communiste qui promettent des lendemains qui chantent et la prospérité pour tous…
La thématique de notre visite à Ho Chi Minh s’articule essentiellement autour de la guerre du Vietnam. Nous nous rendons d’abord au musée des vestiges de la guerre. Autrefois appelé musée des crimes de guerre américains, il a été rebaptisé afin de ménager la susceptibilité des touristes américains. Comme l’indique le Routard, si vous aviez encore des doutes, ce musée vous fera détester la guerre.
Petit résumé des événements :
Après le départ des Français chassés par les armées communistes du Nord, le Vietnam est divisé en deux au niveau du célèbre 17e parallèle, conformément aux accords signés à Genève en 1954. Le Nord devient la zone de la République Démocratique du Vietnam (communiste) présidée par Ho Chi Minh. Au Sud s’installe la République du Vietnam, anticommuniste. Les Américains prennent rapidement la place laissée vacante par la France à des fins de surveillance et de conseil au nouveau gouvernement. En attendant, les Viêt-Cong, héritiers du Vietminh, accentuent la pression sur le Sud-Vietnam en multipliant attentats terroristes et embuscades dans le delta du Mékong. En 1963, le président américain Kennedy est assassiné; lui succède Johnson. Ce dernier veut la guerre avec le Vietnam du nord, seule façon selon lui de garder son crédit auprès de l’électorat américain. Il justifie son action en s’appuyant sur la crainte de l’avancée du communisme en Asie. Comme la plupart des Américains de l’époque, il pense que pour sauver la liberté à San Francisco ou New York, il faut faire la guerre au Vietnam. Les premiers soldats américains débarquent en 1965. La guerre durera jusqu’en 1975. Elle opposera deux cultures radicalement différentes. Les enfants du rock’n’roll fraichement sortis des campus des années 60 font face àr des hommes sans âge, maigres, tenaces, endurcis par des années de clandestinité. Paysans le jour, ils deviennent combattants la nuit et mènent une guérilla meurtrières. Les soldats américains qui s’attendaient à une guerre frontale sont vite déboussolés. Ajoutons à cela que le théâtre des opérations se trouve bien souvent dans la jungle épaisse ou les rizières, sous une ambiance tropicale étouffante. L’ennemi jouit d’une excellente connaissance du terrain. Les GI ont bientôt le moral dans les godasses. Du coup, l’armée américaine fait appel aux ingénieurs pour détruire le plus efficacement et durablement possible les forêts où se cache l’ennemi. Aucun conflit n’aura connu une telle débauche de machines, d’armes et surtout de produits chimiques. Malgré la mise en oeuvre de tels moyens, les Vietnamiens tiennent bon. Dans certaines régions, ils creusent des réseaux de plusieurs centaines de kilomètres de tunnels souterrains pour échapper aux bombardements et aux commandos. L’ennemi est introuvable, impalpable… Les Américains s’enlisent. La guerre du Vietnam, très médiatisée, devient bientôt très impopulaire. Des manifestations pacifistes et quelques concerts mythiques sont organisés dans toutes les capitales du monde.
La guerre prend fin en 1975 après que le congrès américain ait interdit toute participation militaire en Indochine en 1973 et que l’armée vietnamienne du nord ait pris Saigon. Le bilan est désastreux: pendant cette guerre, 13 à 15 millions de tonnes de bombes et d’explosifs ont été larguées, soit 3 à 4 fois le tonnage lâché pendant la seconde guerre mondiale. 4 millions de civils vietnamiens ont été tués (5 % de la population). Côté américain, moins de 60.000 morts, mais la guerre du Vietnam aura coûté aux USA près de 150 milliards de dollars et traumatisé toute une génération. Bref, un beau gâchis !
On rentre d’abord dans une cours où sont exposés les fleurons de l’armement américain: hélicoptère Chinook, avion de combat F4… on se croirait dans Apocalypse Now. Nous pouvons aussi observer le nec plus ultra des bombes de l’époque.
Une, en particulier, remporte la palme: une énorme bonbonne qui en explosant supprimait l’oxygène sur un rayon de 100m.
On entre ensuite dans une salle consacrée à la victoire des troupes du général Giap contre les français à Dien Bien Phu. Cette apologie de la détermination Viêt-Cong contre les colons français sonne à nos oreilles franchouillardes comme un “on vous a bien botté les fesses” et paradoxalement aussi comme un “mais sans rancune” comparé à ce qui suit.
Les salles suivantes sont, en effet, consacrées aux atrocités commises par l’armée américaine sur la population vietnamienne. On peut y voir des clichés d’exécutions arbitraires de familles entières, des cadavres disloqués de combattants Viêt-Cong exhibés par des soldats américains hilares, un supplicié trainé par un char américain dans les rues devant les objectifs des photographes de guerre…
Un hommage appuyé est d’ailleurs aussi rendu à ces 70 journalistes morts sur le terrain. Après Apocalypse Now, nous voici dans Full Metal Jacket.
Le spectacle le plus horrible, c’est l’exposition consacrée aux conséquences de la guerre chimique sur la population vietnamienne.
Les Etats-Unis ont durablement marqué leur passage en employant défoliants, napalm et surtout le fameux agent orange (un liquide à base de dioxine, la substance la plus toxique au monde). On parle de 60.000 m3 de liquide largués, de 20.000 villages aspergés, de 4 millions de personnes affectées. 16% des terres du Sud-Vietnam sont touchés. Les cours d’eau, terres cultivables et ainsi toute la chaine alimentaire ont été contaminés. L’agent orange s’immisce dans les organismes et provoque de façon fulgurante cancers, maladies nerveuses. Depuis la fin de la guerre, il a affecté sur plusieurs générations les populations. Au musée de la guerre, on peut observer des bocaux de formol contenant des foetus de bébés monstrueux.
Des photos prises dans des hôpitaux, des orphelinats et des familles montrent des bambins nés sans bras, ou sans jambes, ou encore sans orifices globulaires. D’autres ont vu le jour avec des crânes énormes. Une légende indique que ces photos ont été prises quelques jours avant la mort des sujets photographiés. Des journalistes retournés à intervalles réguliers sur des zones contaminées témoignent, clichés à l’appui, de la vitesse avec laquelle la santé des habitants s’est détériorée, en particulier celles des enfants: développement stoppé, dégénérescence nerveuses, paralysie…
Par ailleurs, les soldats américains ont été, eux aussi, exposés à l’agent orange et ont ramené dans leurs gènes le même mauvais sort qui ont frappé les Vietnamiens: une grande photo représente une petite fille blonde qui ressemble comme deux gouttes d’eau à ma filleule… mais un de ses bras est complètement atrophié. Le traumatisme de la guerre qui commence à contaminer aussi l’Amérique.
Le lendemain, nous allons nous rendre compte de l’incroyable ingéniosité et de la détermination des maquisards Viêt-Cong. A une soixantaine de km au nord-ouest de Saigon, une agence avec guide nous accompagne à Cu Chi. Ce village est un bastion de la résistance Viêt-Cong. Il abrite un immense réseau de galeries souterraines et d’étroits boyaux creusés à la main par les Viet-Cong. Les tunnels permettaient de cacher les munitions, se mettre à l’abris de l’ennemi en cas d’attaque ou de bombardement. Le réseau de plus de 200 km permettait aussi aux maquisards de se déplacer d’un hameau à l’autre et de mettre à mal l’avancée des troupes américaines. Construits dans une terre particulièrement dure, les tunnels et les salles (dortoirs, cuisines, QG, infirmerie…) creusés entre 3 et 7 m de profondeur devaient pouvoir supporter le passage d’un char de 50 tonnes ou la chute d’une bombe de 100kg.
Le guide commence par nous donner un aperçu des pièges tendus par les Viêt-Cong aux soldats américains. Des piques de bois empoisonnées cachées sous un pan de sol mobile, des sortes de piège à loup cachés sous la végétation, des herses affutées tombant sur les visiteurs à l’ouverture de la porte d’entrée… de quoi refréner toute envie d’exploration.
Le guide nous explique aussi que les villageois récupéraient les bombes américaines qui n’avaient pas explosé dans la jungle pour récupérer explosifs et déclencheurs afin de fabriquer grenades et autres engins de plus petite taille. Sans aucune formation évidemment. Les Viêt-Cong s’improvisaient artificiers !
Ensuite, il y a l’atelier stand de tirs: on vous propose de tirer sur une cible avec une vraie kalash ou un M16 américain. Cette initiative d’un goût douteux (mais certainement très lucrative) a pour seul intérêt de nous mettre dans l’ambiance sonore de la guerre du Vietnam.
Sortis du stand de tir, nous nous enfonçons dans la jungle entre les énormes cratères formés par les bombes des B52. Le guide nous explique aussi que les arbres qui nous entourent ont, au plus, une trentaine d’années. La seule solution trouvée par les Américains pour mettre fin à la résistance de Cu Chi fût l’épandage massif de défoliant et de napalm. La forêt avait complètement disparu à la fin de la guerre.
Nous nous groupons enfin autour d’une petite trappe: une entrée de tunnel. Nous sommes invités à y pénétrer avec une lampe de poche et à parcourir quelques dizaines de mètres. Nous faisons nos adieux à ceux restés à la surface et plongeons dans les entrailles de la terre.
La trappe est tellement étroite que :
- les touristes anglo-saxones qui ont visiblement abusé des fast-foods renoncent à descendre
- on ne voit bientôt plus rien au bout de quelques mètres de progression dans le boyau…
Nous évoluons à quatre pattes dans un tunnel de 70cm de large sur 90cm de hauteur. Le sol est recouvert d’un épais tapis de feuilles sèches. Dans le faisceau de lumière prodigué par la lampe frontale, on aperçoit, accrochées aux parois, quelques chauves-souris qui ont élu domicile dans ces abris bien pratiques. Manifestement, notre visite au milieu de leur nuit les dérangent et la plupart se décrochent à notre passage. Elles s’enfuient dans un vol approximatif en direction d’un boyau plus tranquille. On imagine facilement l’angoisse des gens qui venaient s’abriter dans ces tunnels privés d’éclairage pendant un bombardement américain.
C’est avec soulagement que l’on aperçoit la lumière au bout du tunnel (après une dizaine de mètres seulement). Une expérience intéressante que nous ne conseillons pas aux claustrophobes.
Le lendemain matin, nous attrapons de justesse notre bus pour Dalat.
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