Pressés de vous conter notre aventure salarienne et sud lipezienne, nous n‘avions encore rien évoqué de notre court séjour à Potosi.

Potosi, c’est le “cerro rico”, la fameuse montagne qui fit la richesse passagère de l’Espagne et qui donna naissance au capitalisme en Europe.

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Tout commence vers la fin du XVe siècle, quand un berger égare une brebis (un lama ?) dans la montagne. L’histoire ne dit pas s’il a retrouvé sa bête mais la légende raconte que, s’étant fait surprendre par la nuit, il décide d’allumer un feu pour se réchauffer (ça pèle dans la région quand le soleil se couche). Là, il s’aperçoit que des pierres situées autour du feu suinte un liquide scintillant. De l’argent en masse !

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Le filon commence à être exploité artisanalement par les locaux jusqu’au jour ou un autochtone, un peu naïf, vend la mèche à un conquistador fraîchement arrivé de son Espagne natale. Les Espagnols professionnalisent l’exploitation de l’argent en créant de véritables mines. Potosi, c’est LA corne d’abondance. On dit qu’il y a tellement de minerai dans cette montagne qu’on pourrait créer un pont d’argent entre Potosi et l’Espagne. Rien n’est moins sûr, en revanche, il est probable qu’on aie pu relier Potosi et l’Europe avec les ossements des mineurs qui y sont restés.

Parce que les espagnols n’y vont pas de main morte : les populations soumises lors de la Conquista sont asservies, déplacées sur des milliers de kilomètres et envoyées dans les mines de Potosi. Des conditions de travail atroces et une espérance de vie qui n’excède pas la trentaine (pour les plus chanceux) conduisent à un véritable génocide indien. En 1537, retournement de situation : la controverse de Valladolid du Pape Paul 3, en reconnaissant que les indiens ont une âme, les sauve de l’esclavage. Devant l’impossibilité d’exploiter le local, les commerçants font venir des esclaves d’Afrique. Nouvelle hécatombe!

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Et pourquoi l’Espagne qui a bénéficié de cette manne pendant des siècles n’est pas la première puissance économique mondiale ? Et bien, parce qu’elle a tout dépensé, principalement en produits de luxe, s’endettant ainsi auprès de ses partenaires européens : la Hollande, la France et surtout l’Angleterre. Le flot d’argent (en argent !) qui inonde l’Europe (l’équivalent de plusieurs plans Marshall) entraine une multiplication des échanges commerciaux et booste l’industrie, marquant ainsi le début du capitalisme. Au passage, allez voir les cathédrales de Séville et de Grenade en Andalousie, vous comprendrez peut-être où l’or et l’argent des Amériques sont passés.

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De cette période, il ne reste qu’une montagne trouée (Nicolas l’appelle “le Gruyère”) et la ville de Potosi. Le filon est considéré comme épuisé mais est encore exploité par des mineurs qui travaillent toujours dans des conditions abominables. L’exploitation a été libéralisée il y a quelques dizaines d’années et les travailleurs cherchent le minerai à la sauvage : pas de coordination dans le forage des galeries (toujours à la dynamite!) et avec des mesures de sécurité réduites. Galerie non étayées, pas d’aération et vapeurs de mercure pour achever le boulot de la grande faucheuse.

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L’activité touristique la plus proposée à Potosi est évidemment la visite des mines. Nous nous étions promis de ne pas aller voir hommes et enfants souffrir au travail et nous nous sommes tenus à notre promesse. Nous avons eu un assez bon aperçu de la chose en lisant Germinal. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est ce qui se passe après, avec l’argent qui sort des mines.

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Le musée de la Moneda est un passage incontournable pour comprendre ce qui était fait du métal du cerro rico. C’est en effet dans ce bâtiment qu’était frappée la monnaie pour toute la région sud-américaine conquise par les Espagnols et pour l’Espagne elle-même. Les pièces d’argent étaient acheminées par bateau à Séville. Dans le musée, on peut voir, notamment :

  • les fonderies qui permettaient de former des lingots d’argent
  • de très beaux laminoirs en bois actionnés par des mules afin de donner aux lingots l’épaisseur voulue pour y découper des pièces.

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  • les pressoirs qui permettaient d’imprimer le motif souhaité et la valeur de la pièce.
  • une collection de pièces et de médailles montrant l’évolution des formes, des alliages utilisés et des dessins imprimés sur le côté face. On y apprend aussi les mesures de sécurité mises en place pour empêcher les employés ou tout simplement les utilisateurs des pièces de détourner du métal. Savez-vous par exemple pourquoi la tranche des pièces est désormais crénelée ? Pour pouvoir constater rapidement si la pièce a été rognée par frottement. Si les crénelures sont toujours là, c’est bon signe. Les vitrines présentent des pièces dont des morceaux entiers ont été déchirés.

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Et aujourd’hui ? La Bolivie a cessé de battre monnaie dans les années 50 parce que l’activité était considérée comme non rentable (et la réflexion stratégique là-dedans?) et a confié cette tache à des pays étrangers. Les billets sont produits au Canada et, Cocorico!, en France. Le Chili, ennemi historique, a gagné il y a trois ans un appel d’offre pour frapper les pièces boliviennes. Le comble du comble pour la Bolivie qui a alimenté pendant des siècles en monnaie l’Amérique du sud et une bonne partie de l’Europe.

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Lors de notre séjour potosien, nous nous sommes penchés sur un autre aspect de la ville. Afin de gérer les mines et la Moneda, des Espagnols s’installèrent à Potosi, créant bientôt un noyau bourgeois dans la ville. Ils emmenèrent de la péninsule les institutions religieuses et notamment les couvents. Ainsi, pour briller en société à Potosi, il fallait avoir une des ses filles au couvent Santa Teresa de Potosi. Nous avons visité le fameux couvent, toujours en activité (il reste 6 soeurs) et avons eu un témoignage édifiant sur les moeurs religieuses de l’époque.

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Le couvent est un charmant bâtiment situé dans un quartier calme non loin du centre-ville. Il a été inauguré en 1692 et abrite des Carmélites. L’ordre carmel obéit à des règles de vie extrêmement strictes. Pratique intensive du jeûne, vie dans le silence orientée principalement vers la prière et conditions d’existence spartiates (cellule rustique de 4m2, paillasse pour dormir, jamais de viande aux repas…).

A l’apogée de son activité (XVIIIe), on y rentrait, obligée par sa famille en quête de reconnaissance sociale, à l’âge de 15 ans. Il n’y avait que 21 places dans le couvent et, du coup, la place coûtait chère. Sur le même principe que la dot lors du mariage, la famille qui faisait rentrer une de ses filles au couvent devait s’acquitter d‘un droit de passage pharaonique équivalent à un million d’Euros actuels. Le couvent acceptait le paiement sous diverses formes : pièces d’or, objets en argent, Traveller Check, vaisselle précieuse, oeuvres d’art,…

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D’où une certaine contradiction dans le mode de vie des soeurs. A côté des cellules dépouillées, on trouve, en exposition, de fabuleuses statues, des services d’assiettes produits dans la plus fine des porcelaines, des vases en verre de Murano… Mais ici, on n’est pas à une contradiction près.

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Les jeunes filles qui rentraient ici perdaient tous leurs attributs féminins : elles étaient rasées, leur cheveux servaient pour la fabrication de perruques destinées à coiffer les statues de la Vierge du couvent. Les miroirs étant interdits pour tuer dans l’oeuf toute tentative de coquetterie. Une fois le couvent intégré, les filles n’en ressortaient jamais. Même à leur mort, elles étaient enterrées dans une pièce du couvent, leur cadavre était passé à la chaux. La communication avec l’extérieur était proscrite. Le commerce pour assurer la vie du couvent se faisait via un système de tourniquet aveugle qui permettait de poser les marchandises et le paiement sans voir son interlocuteur. Les soeurs avaient droit à une heure de visite par mois dans un parloir ou les visiteurs se tenaient derrière une bâche noire, protégée par des herses. La discussion se faisait sous la surveillance d’une autre soeur plus âgée. Enfin, les soeurs étaient tenues hors de vue des fidèles venant à la messe dans l’église du couvent.

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Elles consacraient leur temps essentiellement à la prière, à la fabrication de vêtements religieux brodés, au jardinage, à la conversation (1 heure par jour autorisée) et à la préparation des repas. Et aussi, nous avons été surpris et dégoûtés par cette découverte, à l’autoflagellation (au sens propre du terme). En nous montrant la petite pièce pleine de fouets à clous et de cilices monstrueux, la guide nous explique, presque avec des regrets dans la voix, que cette pratique était encouragée pour faire pénitence et être plus proche de Dieu.

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Imaginez-vous : vous avez 15 ans et la vie devant vous. Comme vous êtes la seconde fille de votre bourgeoise de famille potosienne (votre grande soeur a été mariée à un riche héritier), vos parents vous forcent à rentrer dans une institution où vous devez renoncer à tout. Que vous ayez la vocation ou que vous ne l’ayez pas. Vous perdez vos cheveux, votre nom (les autres soeurs en donnaient un autre), toute perspective d’avoir un peu de confort ou même de manger un peu de viande. Vous ne sortirez jamais plus de ce vase clôt habité par des femmes aux moeurs bizarres. Personne ne parle et on vous interdit de communiquer avec l’extérieur.

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Visiter Potosi, c’est passer en un coup de cuillère à pot de Charybde en Scylla.

Retrouvez ici toutes les photos de Potosi.

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